Je sais que certains d'entre vous ont suivi la Transat 6.50 qui est arrivée depuis quelques jours à Salvador de Bahia au Brésil. Je ne peux pas résister à l'envie de vous faire partager les quelques mots envoyés par Matthieu GALLAND qui a terminé 9ème sur son Super Calin - Groupe Setec. Vous allez voir, c'est assez poignant.
A bientôt
Jib
"Cher tous,
Je reprends timidement contact avec mon ordinateur - vous connaissez mon affection pour les mels - pour, en premier lieu, vous remercier de votre soutien au cours de la deuxième étape de la Transat. J'ai une chance inouïe d'être si bien entouré, et c'est certainement grâce à vous que j'ai pu trouver toute l'énergie pour réaliser cette folie. Vos petits mots, vos photos, vos sélections de mp3, le calendrier Setec (je dois même pouvoir y trouver un message pour ma rentrée au boulot, vous aviez vraiment vu large, mais j’apprécie l’encouragement!), les dessins de Mathilde, Adrien, Hugo, et des élèves de l’école Jacques Brel, vos "paquets surprise" et autres attentions, m’ont apporté de sérieux coups de pouce, et le divertissement nécessaire pour prendre un peu de recul dans les coups durs. Nous avons vécu une formidable histoire avec "Mariole", et je peux vous garantir que vous n'êtes pas étranger à sa réussite. MERCI !
Je me sens quelque peu démuni pour qualifier en quelques mots ce second épisode de ma traversée... Il y a tellement de moments où je me suis demandé ce que je faisais dans ma cagette au milieu de l'Atlantique ! pour retrouver, dans les 5 minutes suivantes, le sourire et un tas de raisons valables… Alors disons simplement que c'était dur, long, incroyablement riche en émotions, et… complètement fou.
J'avais, comme tous les bizuths je pense, légèrement sous-estimé la chose, et je comprends un peu mieux maintenant ce que représente un tel parcours de 8000 km, seul sur ma coque de noix...
Un bon nombre d'heures à la barre certainement. Des heures vibrantes sur la houle formée de l'Atlantique, à retenir mon souffle à chaque vague que le bateau dévale en doublant quasiment sa vitesse, le corps contracté dans l'attente du possible « planté » dans la vague suivante, ou au contraire de la nouvelle accélération lorsque la houle ménage une porte où se glisser (et là, l’angoisse double !).
D'autres heures incroyablement longues, à chercher un souffle d'air sous un soleil implacable, ou à lutter contre le sommeil.
Des affalages de spi in extremis, préparés du bout des doigts sans lacher la barre (sans quoi le bateau, déstabilisé, serait parti dans un vrac monumental). Des nuits angoissantes, plié en 4 à l'intérieur, le dos en vrac, les jambes à l’équerre sur le matériel, à se demander combien de temps le pilote va pouvoir tenir le rythme sous spi, ou le bout-dehors supporter le gennakeur sans exploser sous l’excès de compression (au final, j’ai toujours craqué avant le matériel !).
Des moments de doute, où tu apprécierais tellement pour que l’on te confirme que tu es dans la bonne voie, par exemple lorsque j’ai choisi de faire un contre-bord pour passer à l’ouest de Gomera dans les Canaries, 5 ou 6 heures à 65-70 degrés de la route alors que la flotte tente sa chance tout droit entre Goméra et Ténérife (où c'est vraiment la roulette).
Des flots d'insultes aussi, dans mes excès d’ingratitude, envers ma carène trop étroite et ce foutu pilote qui tient pas la mer et couche dangereusement le bateau travers aux vagues, mât à l'horizontal, impliquant des sorties de la bannette en 4ième vitesse, dans le plus simple appareil, pour récupérer les voiles qui claquent dans le vent et menacent de se déchirer.
Des larmes, qui s'échappent de manière récurrente et incontrôlable, dès que je suis épuisé.
Et le pot au noir…avec ses séances de matossage harassantes (déplacement, lors d’un virement de bord, des 250 kg de matériel d'un côté à l'autre du bateau pour contrecarrer sa gite), répétées machinalement à chaque grain, pour gagner toujours plus dans le sud ; ses orages couvrant tout l'horizon, 2 éclairs à la seconde, dans lesquels tu rentres pleine balle sous spi, la peur au ventre... les ciels les plus incroyables que j’ai pu voir...mon super pote alors à portée vhf…
Et évidemment la solitude, à l’état pur (entre deux conversations vhf…), qui sublime toutes les émotions et les rend extrêmes, dans la douleur comme le bonheur.
Une chaleur et une humidité permanentes, que j'ai eu un mal fou à supporter, avec leurs conséquences sur mon cher postérieur (que j'ai examiné au miroir et soigné deux fois par jour, rassurez-vous mesdames!), sur les mains et les genoux dont les multiples petites plaies ne cicatrisent pas et gênent les manœuvres.
Des moments de pur bonheur, où je pleure, encore, sans comprendre bien pourquoi.
La satisfaction retirée de ma belle trajectoire et du sentiment d’avoir pu placer Mariole là où il devait être pour en tirer le maximum.
Le rythme à bord, que l’on finit par trouver presque confortable. La complicité développée au fil des milles avec mon Câlin, qui a bien voulu donner 100% de son potentiel sans montrer la moindre faille (ou presque…).
L’approche de Bahia où, enfin, je sens que c’est dans la poche. Puis l’impatience de retrouver la famille, les proches, les copains de galère, de partager avec vous cette expérience inouïe. Et dans le même temps, l’appréhension du vide qui va suivre le passage de la ligne d’arrivée, mettant un terme définitif à l’aventure…
Les vidéos (enfin, ce qu’il en reste car j’ai perdu les cartes mémoire des deux premières semaines de course) et un modeste montage traduiront probablement mieux la densité de ces moments de vie brute, pleine, hors du temps. Je vous prépare cela pour le mois de janvier ! Cela laisse le temps aux éventuels sachants en la matière de me donner quelques indications (merci par avance !), mais aussi de prendre tranquillement quelques verres ensemble! A ce sujet, je rentre à Paris le 28 novembre, nous vous proposerons vite avec Pierrot une date pour une soirée retrouvailles, probablement le we du 12 décembre. Enfin, si vous êtes libre le 5 décembre au soir, la remise des prix de la Transat a lieu au Salon Nautique (Porte de Versailles), et sera suivie d’une sacrée fête, j’en suis certain!"
Mat Galland elu world champion de la cagette 2009, sacré perf avec son canot. On compte sur toi JB pour ce titre honorifique dans tes prochaines navs avec le 569 racing!
Rédigé par : raging.bert | 13 janvier 2010 à 23:02